L’abus d’alcool ou d’autres drogues et le sevrage peuvent déclencher des troubles mentaux temporaires pouvant durer jusqu’à un mois après le sevrage, voire des troubles plus permanents. Une étude a démontré que 31 % des patient·e·s consommant de l’alcool, du cannabis ou des stimulants obtenaient des scores inférieurs au seuil diagnostic d’un déficit cognitif pour la mémoire et les capacités visuospatiales. Des études de prévalence menées dans des centres de réadaptation résidentiels ont indiqué que 52 à 80 % des patient·e·s admis·e·s présentaient une forme de déficience cognitive.
Les troubles neurocognitifs peuvent non seulement altérer la fonction cognitive, mais également entraîner des rechutes lorsque les protocoles de traitement sont trop complexes. Offrir des soins adaptés aux patient·e·s qui présentent à la fois un trouble de l’usage d’une substance (TUS) et des déficits cognitifs exige de faire appel à une équipe multidisciplinaire qui sait comment améliorer les taux de réussite pour ce groupe de personnes en particulier.
Intervenir auprès des personnes ayant un trouble de l’usage d’une substance et des déficits cognitifs
Les patient·e·s atteint·e·s d’un trouble de l’usage d’une substance ayant également un déficit cognitif diffèrent de ceux ou celles éprouvant une détresse psychologique à court terme, comme de l’anxiété, de la paranoïa, de la dépression ou des troubles de l’attention, autant d’éléments souvent associés au sevrage. Les personnes ayant des déficits cognitifs permanents peuvent avoir de la difficulté à rester sobres en raison de leur distractibilité et de leur manque de discernement. Elles peuvent aussi avoir du mal à traiter des instructions complexes et à faire face aux rigueurs du processus de rétablissement à long terme.
Cependant, les médecins disposent de nombreux moyens d’aider les patient·e·s à comprendre cette situation et à y faire face, notamment :
- En expliquant ce qu’est un déficit cognitif lié à la consommation de substances.
- En dispensant aux patient·e·s une formation étape par étape aux compétences essentielles.
- En encourageant les patient·e·s à prévoir suffisamment de temps pour réaliser leurs tâches, à vérifier leur travail et à utiliser des aide-mémoire.
- En montrant aux patient·e·s comment utiliser des alarmes, des enregistreurs vocaux, des blocs-notes, des calculatrices et des calendriers.
- En les aidant à mettre au point des techniques pour se souvenir des informations et des routines quotidiennes.
- En leur enseignant comment réaliser des listes d’analyses coût-bénéfice dans le cadre de leur processus de prise de décision.
- En mettant en place des routines pratiques dans leur vie quotidienne pour les aider.
- En leur conseillant de prendre médicaments améliorant les fonctions cognitives, de pratiquer une activité physique et d’avoir recours à la stimulation magnétique transcrânienne.
- En assurant les patient·e·s qu’il est tout à fait normal de demander de l’aide lorsqu’ils ou elles en ont besoin.
- En orientant les patient·e·s vers des services d’évaluation psychologique et de traitement de troubles mentaux spécifiques.
Ajustements pour venir en aide aux patient·e·s atteint·e·s d’un trouble de l’usage d’une substance et de déficits cognitifs
Les interventions comportementales sont rarement une solution universelle. Il est donc utile d’évaluer le fonctionnement cognitif de chacun et chacune avant de commencer un nouveau protocole de traitement. Les praticien·ne·s peuvent envisager les choses suivantes :
- Programmer des séances plus courtes, mais plus régulières.
- Utiliser plusieurs modes de communication (y compris oral, visuel et auditif).
- Adopter des approches de rétroactions positives, fondées sur les points forts, qui offrent des avantages directs et immédiats.
- Répéter les informations et demander aux patient·e·s de paraphraser.
- Encourager le recours à l’humour, la pleine conscience ou les loisirs comme stratégies d’adaptation.
- Travailler en coordination avec des équipes de soins pouvant comprendre des neurologues, des services professionnels ou des spécialistes.
Le MoCA permet de déceler les troubles cognitifs liés à l’abus de substances
La plupart des médecins ont utilisé le MoCA pour dépister spécifiquement les troubles cognitifs, mais l’évaluation a aussi été utilisée, dans d’autres cas moins connus, pour dépister les patient·e·s ayant des troubles de l’usage de substances afin de prédire la probabilité que l’intervention réussisse. Les médecins comprendront mieux leurs patient·e·s s’ils sont en mesure de différencier les effets d’une détresse psychologique à court terme et ceux d’un déficit cognitif à long terme engendré par l’abus de substances psychoactives.
De nombreuses études évaluées par des pairs valident l’utilisation du MoCA pour le dépistage des troubles cognitifs dans les cas d’abus de substances psychoactives :
- « Les patient·e·s ayant un trouble de l’usage d’une substance (TUS) devraient faire l’objet d’un dépistage systématique des troubles cognitifs, car cela permet de prédire les risques d’abandon du traitement. Les dépistages devraient être suivis de mesures d’adaptation du traitement appropriées et d’évaluations supplémentaires. Le MoCA est un outil de dépistage utile à cet égard, puisqu’il fait la différence avec la détresse psychologique. Des recherches futures devraient permettre de répéter nos résultats, d’examiner des interventions spécifiques et d’établir des normes relatives aux patient·e·s atteint·e·s d’un trouble de l’usage d’une substance pour le MoCA. » Le MoCA est un outil de dépistage qui peut être plus sensible que d’autres méthodes comme le questionnaire SCL-10. Dans cette étude, les équipes de recherche ont constaté que les patient·e·s obtenant un score inférieur au seuil diagnostic du MoCA étaient plus à risque d’abandonner leurs programmes de traitement, même s’ils/si elles ne présentaient pas de signes apparents de détresse psychique et que le questionnaire SCL-10 n’avait pas révélé de trouble. 1
- « Ces résultats démontrent que le MoCA offre une solution rapide et ne nécessitant que peu de ressources pour identifier les patient·e·s ayant des TUS et des déficiences neuropsychologiques, permettant ainsi de répondre à un besoin essentiel de la communauté de recherche sur le traitement des dépendances. » Des scientifiques ont étudié le test de dépistage MoCA de 10 minutes, l’ont comparé avec le module de dépistage Neuropsychological Assessment Battery de 45 minutes et ont constaté que les résultats convergeaient à 75 %. Le MoCA a révélé une sensibilité de 83,3 % et une spécificité de 72,9 % pour l’identification des troubles cognitifs.2
- « Les résultats que nous avons obtenus concordent avec les recherches antérieures démontrant que le MoCA fournit une évaluation rapide et ne nécessitant que peu de ressources pour l’identification des troubles cognitifs chez les patient·e·s ayant un TUS. Notre étude indique que les résultats du MoCA sont indépendants d’une détresse psychologique concomitante, tandis que l’évaluation BRIEF-A GEC est fortement associée à la détresse psychologique, telle que mesurée par le questionnaire SCL-90-R. Nous estimons donc qu’une évaluation basée sur la performance, comme le MoCA, pourrait permettre de réduire l’influence de la détresse psychologique sur le dépistage des troubles cognitifs. » Dans cette étude, 34/6 % des participant·e·s ont obtenu un score inférieur au seuil diagnostic d’un trouble cognitif chez les patient·e·s avec un trouble de l’usage d’une substance. Les équipes de recherche ont trouvé une corrélation importante entre les scores du questionnaire SCL-90R GSI et de l’évaluation BRIEF-A GEC, mais aucune corrélation significative n’a été établie entre les résultats de ces tests et ceux du MoCA. En d’autres termes, le MoCA est une échelle plus objective pour les consommateur·rice·s de plusieurs substances psychoactives, puisqu’il réduit l’influence de la détresse psychologique sur le dépistage par rapport aux outils traditionnels.3
- « Chez les patient·e·s atteint·e·s d’un trouble sévère de l’usage d’une substance ayant fini leur désintoxication, un résultat positif au dépistage des troubles cognitifs à l’aide du MoCA pourrait également être lié à une agoraphobie et à des épisodes dépressifs comorbides plutôt qu’au trouble sévère de l’usage d’une substance. Une évaluation psychiatrique complète doit être réalisée chez les patient·e·s ayant un trouble sévère de l’usage d’une substance afin que d’autres causes potentielles de déficits cognitifs, notamment les troubles de l’humeur et l’anxiété, puissent être identifiées et traitées. » Les équipes de recherche ont examiné 100 patient·e·s ayant récemment fini un programme de désintoxication lié à un sévère trouble de l’usage d’une substance et ont découvert que le MoCA était efficace pour identifier les personnes présentant des déficits cognitifs, sachant que ceux-ci pourraient réduire l’efficacité des interventions thérapeutiques et entraîner potentiellement un abandon du traitement et une rechute.4
En raison du lien important entre les troubles de l’usage d’une substance et les troubles cognitifs, le MoCA est un outil de dépistage utile pour rendre les traitements plus efficaces. Sa sensibilité relative peut aider à détecter le plus tôt possible les problèmes potentiels qui pourraient survenir lors des interventions de traitement.
Références :
1 Sømhovd, M., Hagen, E., Bergly, T., & Arnevik, E. A. (2019). The Montreal Cognitive Assessment as a predictor of dropout from residential substance use disorder treatment. Heliyon, 5(3), e01282. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31025003/
2 Copersino, M. L., Fals-Stewart, W., Fitzmaurice, G., Schretlen, D. J., Sokoloff, J., & Weiss, R. D. (2009). Rapid cognitive screening of patients with substance use disorders. Experimental and clinical psychopharmacology, 17(5), 337. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19803633/
3 Egon Hagen, Mikael Sømhovd, Morten Hesse, Espen Ajo Arnevik, Aleksander H. Erga,. Measuring cognitive impairment in young adults with polysubstance use disorder with MoCA or BRIEF-A – The significance of psychiatric symptoms. Journal of Substance Abuse Treatment, Volume 97, 2019, Pages 21-27. https://pure.au.dk/ws/files/140318722/Measuring_cognitive_impairment_in_young_adults_with_polysubstance_use_disorder_with_MoCA_or_BRIEF_A.pdf
4 D’Hondt, F., Lescut, C., Maurage, P., Menard, O., Gibour, B., Cottencin, O., … & Rolland, B. (2018). Psychiatric comorbidities associated with a positive screening using the Montreal Cognitive Assessment (MoCA) test in subjects with severe alcohol use disorder. Drug and Alcohol Dependence. https://psycnet.apa.org/record/2018-47161-033